Faeris:William Noy et Grace Hutchens

Publié le par Elen

contes des Cornouailles traduit par Jean-Louis Laurin


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Dans le Land's End, à environ un mille de Saint-Buryan, la route côtière traverse deux exploitations, Selena et Burnewhall ou Baranhual comme on dit. Ces deux fermes se trouvent entre la route et les falaises, dans ce petit coin de Cornouailles qui était autrefois un endroit de marécages et de broussailles, de sables mouvants et d'affleurements granitiques. Dans cette désolation, une nuit fort sombre il y a près de deux siècles, William Noy de Buryan se perdit en se rendant à Baranhual. Après trois jours et trois nuits de recherches infructueuses, ses amis retrouvèrent son cheval et peu de temps après William lui-même.

Il était allongé à moitié endormi dans ce qui restait d'un bâtiment délabré enfoui sous un épais buisson d'aubépine pratiquement impénétrable. Réveillé, il avait perdu toute notion de temps et d'espace bien qu'il eut reconnu ses sauveteurs et leur eut posé quantité de questions sur le pourquoi et le comment de sa mésaventure. Etourdi et aussi raide qu'un bout de bois, on le hissa sur son cheval et on le raccompagna chez lui, où, un peu de temps étant passé, il fut capable de reconstituer les étranges événements de la nuit où il avait quitté Buryan pour se rendre à Baranhual. Sa grande erreur, il s'en aperçut ensuite, avait été d'obliger son cheval, pourtant rétif, à emprunter un raccourci à travers la Lande de Selena, car bientôt, bien qu'il eut renoncé à diriger l'animal, il se rendit compte qu'ils étaient complètement perdus. Les Piskies les avaient indubitablement ensorcelés comme William le réalisa plus tard. Bientôt, ils pénétrèrent dans une forêt, sombre et déserte en apparence et totalement inconnue. Brusquement William perçut des milliers de bougies vacillantes à travers les arbres et un air de musique. Son cheval en les voyant manifesta une grande terreur.

William, soucieux de trouver de l'aide, fut contraint d'attacher l'animal et de continuer seul. William, en proie à une stupéfaction admirative, traversa un verger et atteignit une prairie dans un endroit dégagé de la forêt. Il y découvrit alors une vieille maison. Sur un rocher en surplomb devant la porte, se trouvait une jeune fille toute vêtue de blanc et jouant du violon. Mais ce ne fut pas elle qui retint d'emblée son attention. Sur l'espace vert dégagé, des centaines de petits bonshommes viraient et tournaient à une vitesse vertigineuse au son de la musique alors que beaucoup d'autres étaient assis les uns à côté des autres à des tables minuscules, festoyant et buvant. Ce spectacle était si attrayant que William esquissa un mouvement pour rejoindre les danseurs, mais à ce moment-là la jeune fille en blanc lui adressa un regard de mise en garde.

Elle confia son violon à quelqu'un pour que la musique ne s'arrête pas et l'attira vivement dans le verger baigné par la lune. Ils étaient presque de la même taille. Il vit alors que cette jeune fille qui le regardait droit dans les yeux était sa bien-aimée Grace Hutchens de Selena morte depuis trois ans. Fou de joie, il voulut l'embrasser. " Non, non, mon très cher William, vous ne devez pas me toucher, pas plus que vous ne devez prendre un fruit de ce verger, cueillir une fleur ou couper un brin d'herbe. Tout est ensorcelé. Une prune de l'un de ces arbres a signé ma perte il y a trois ans. Voici ce qui est arrivé. J'étais partie, le soir déclinant, à la recherche de l'une de nos chèvres égarée sur la Lande de Selena. En vous entendant appeler vos chiens pas très loin de l'endroit où j'étais, je coupai par la lande pour vous rejoindre, mon bien-aimé, mais je m'égarai dans les hautes fougères, cernée par les marais et les ruisseaux. A la fin, extrêmement fatiguée, je me retrouvai dans ce verger. Un peu plus loin, il y avait un jardin empli de roses et derrière les arbres, j'entendis de la musique. Je sais maintenant qu'il s'agissait d'un ensorcellement des piskies, car ayant pénétré dans ce jardin, je n'y trouvai plus d'issue. " Grace lui expliqua comment elle avait alors mangé cette prune, et comment son onctuosité dans sa bouche s'était tournée en amertume avant qu'elle ne défaille.

En s'éveillant, elle s'était retrouvée au milieu de centaines de créatures du Petit Peuple, heureux d'avoir trouvé maintenant quelqu'un pour s'occuper d'eux et pour garder leurs nombreux enfants d'échange (changelings). " C'est ce que je suis d'une certaine manière, ajouta Grace, car alors que j'étais évanouie, ils m'ont capturée, comme vous me voyez maintenant, laissant à ma place le corps de remplacement que vous et mes amis avez enterré dans le cimetière de Buryan. Les nourrissons enlevés sont élevés au lait des chèvres attirées dans le jardin par le Petit Peuple transformé en bouc.

Leurs propres enfants sont très peu nombreux et très entourés de soin car le Petit Peuple est très âgé dans son ensemble, vieux de milliers d'années. Bien sûr, ce ne sont pas des chrétiens, puisqu'ils avaient apparence humaine bien avant l'époque du Christ. Au lieu de cela, ils idolâtrent les étoiles. " William ressentit brutalement l'envie de quitter cet endroit quelque peu effrayant en emmenant Grace. Il se souvenait qu'un vêtement mis à l'envers pouvait rompre ce genre de sortilège ; alors, aussi rapide que l'éclair, il retourna son gant et le jeta au milieu de la foule du Petit Peuple. A cet instant, tout changea. La maison se transforma en ruines, le jardin en un endroit désolé de lande inculte et d'eau, le verger en un buisson de ronces. Le Petit Peuple disparut et avec lui, Grace, sa bien-aimée. Touché par un souffle mystérieux, William s'écroula et s'endormit à cet endroit même où l'avaient trouvé ses sauveteurs.

A partir de ce jour, il sombra lentement dans le désespoir, errant des jours durant sur la lande à la recherche de Grace jusqu'au jour où lui aussi mourut. On l'enterra à côté d'elle dans le cimetière de Buryan. A moins peut-être que lui aussi n'ait pénétré dans Faeryland par le biais d'un changeling .

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D
j'adore les contes et je connaissais pas les celtiques.j'espère qu'il va y en avoir d'autres.merci
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